J'entends ma voix s'éteindre dans les recoins noirs de la pièce, là où le néon ne se rend pas. Mes jambes sont repliées contre moi et je les tiens. Depuis mon réveil, ce matin - du moins, je crois - que j'ai l'impression de ne pas être en sûreté, pas comme d'habitude. Je me berce donc doucement sur mon lit, alerte au moindre signe du danger. J'ai les yeux rivés sur les coins sombres. J'y ai cru entendre des couinements. Peut-être les bestioles qui me suivent toujours? Si c'est le cas, je vais les repousser, comme toujours. Elles ne m'auront pas, jamais. Si elles me touchent, c'est la fin et je ne le veux pas. J'essaie de me calmer en chantant des berceuses que j'invente au fur et à mesure que le temps passe. Je ne veux pas oublier le vocabulaire qui m'a pris 22 ans de ma vie à apprendre. Je ne veux pas débiliser. C'est tout ce qui me reste. Les mots. Car bien évidemment, je ne veux pas approcher les autres, car oui, je sais qu'il y en a d'autres. Je les entends. Certains crient et pleurent, d'autres martèlent les murs avec des objets... Ils me font peur. Je ne veux pas croiser de colériques. Ils risqueraient de briser mes défenses. Non, non. Je vais continuer à me faire toute petite, ils ne vont même pas savoir que je suis là.

Dans cette chambre, je me sens un peu plus en sécurité malgré l'imminente présence des bestioles. Je n'ai qu'à me préoccuper d'elles. C'est mon occupation principale. Je chante aussi comme tantôt pour continuer à faire travailler mon esprit. Ça éloigne peut-être les bestioles? Tout ce que je peux faire contre elles je veux le faire. Tiens. J'ai cru voir une bestiole bouger. Ouste. Dégages bestiole d'Horreur. Je ne vois plus de mouvement. Elle s'est sauvée. Je souris. Je dois l'avoir intimidé. C'est bien. Je fredonne l'air de ma berceuse. En y pensant bien, ces paroles que j'ai trouvé me représentent assez bien. La Dame Solitude m'entoure de ses bras depuis belle lurette. Elle me murmure même des mots à mon oreille qui me réconfortent. Même si parfois je sors de la chambre, je reste seule et éloignée de tous. J'en ai vu d'autres humains, mais je fais de mon mieux pour les éviter. Qu'est-ce qui m'arriverais si j'en regarde une personne et que c'est Cody? Je le tuerais sûrement. Il ne doit pas être ici. Il ne doit pas être dans le même endroit que moi. C'est un obsessif. Il me suivait partout, même dans mon bain! Je n'avais plus mon espace personnel.
Alors s'il vient briser ma solitude, ce que j'ai mis du temps à obtenir, je vais lui sauter à la gorge et mettre fin à ses jours. De mes propres mains seraient le moyen idéal pour m'assurer qu'il a émit son dernier souffle de vie. De mes mains, je pourrais voir la vie s'échapper de sa carcasse corporelle et partir je-ne-sais-où. Je pourrais aussi m'assurer qu'il ne sera plus présent pour m'embêter. Il doit apprendre à me laisser en paix car je n'ai pas la paix. Oh, voilà maintenant que des pas se rapprochent de la porte. Je cesse ma mélodie. Si je ne fais plus un son, la personne va sans doute croire que c'était son imagination et qu'au final, il n'y a personne ici, pas même moi! Je ne bouge plus. Tout ce que j'ai à faire c'est d'attendre, attendre que l'autre s'en aille. Je ne peux plus décrocher mon regard de la porte. Qui est de l'autre côté? Cody? Non, non! Faut pas que ça soit lui! La porte s'ouvre. J'ai peur.