« La folie est un détour, comme le crime, vers l'amour. »

« Paraît que ça se mange, le bonheur. Que ça s’achète en grande surface. Si, maman me l’a dit, je m’en souviens. Mais comment faire, lorsque l’on s’est étouffé avec ?... »

« Cher journal,
Aujourd’hui, j’ai dix-huit ans. Je me fous bien des bougies. De leurs flammes qui vacillent sous la respiration. J’ai dix-huit ans, et alors ? Je ne crois pas être différente. Pas encore. Après tout, il faut plus. N’est-ce pas ? Des heures, et des épreuves. Des jours sans recours. Pourtant tout le monde s’obstine. « Tout est différent, désormais. » Tout est différent ? J’ai vieillis d’un an… »


« Bonjour, Candice. » Lasse, tu plonges tes prunelles éteintes dans les siennes. Tu voudrais hurler. Débattre avec fureur tes membres endoloris. Mais la fatigue est cruelle. Elle étreint le corps déjà mort. Celui qui ne cherche plus à lutter. Qui attend seulement. Le coup de grâce. La mort. Ses doigts effleurent ton visage, avec douceur. S’aventurent le long de ta clavicule. Tu grimaces. Une vague d’amertume envahit ta bouche. « Tu es somptueuse, encore aujourd’hui. » Alors tu serres les lèvres, pour ne pas déchoir. Pour ne pas céder sous le poids. « Laisse-moi partir… Alexis, je t’en prie !... » Les larmes douloureuses s’épanchent à tes joues. Chemin pur, sur ta peau crasseuse. Un sourire déforme ses traits. Carnassier, sous cette compassion mensongère. « Mais, nous sommes bien ici. Tous les deux… » Cette fois, tu ne retiens plus les soubresauts de ta poitrine. Même pleurer semble une torture. Tu voudrais seulement… dormir… Dormir et ne plus jamais te réveiller…

« Candice ! » Elle se retournait. Souriante. Rayonnante. C’était une fleur à peine éclos. Une rose encore immaculée. Un morceau de bonheur, lorsqu’elle posait ses prunelles d’un bleu léger sur lui. Il aurait voulu l’étreindre. Enlacer sa silhouette. Sa fragilité. Mais Candice, c’était l’inaccessible. Celle que les garçons désiraient. Sans qu’elle n’en désire un. « J’ai quelque chose à te montrer. Viens… » Celle que lui seul, garderait. A jamais, près de lui…

Tu ne sais plus. Combien d’heures à n’observer que l’obscurité. De mois, peut-être ? Tu as oublié le monde. Tu ne connais plus ton propre prénom. Tu ne sais plus. Le soleil qui brûle la peau. L’odeur du savon. L'arôme des repas que préparait ta mère. Ta mère ? Mais qui est-ce ? Il fait froid. L’humidité s’est incrustée jusque sous l’épiderme. Poison venimeux. Tu espères encore qu’elle grignotera l’intérieur. La viande qui, semble se battre pour ne pas cesser. Pour ne pas flancher. Mais l’esprit, lui ? Il a dépéri. Tu n’es plus réellement là, il faut l’admettre. Candice… Ô douce Candice, où es-tu désormais ?...

« Alexis ? Alexis, laisse-moi partir ! » Il la regardait sans ciller. Sa douce. Sa tendre Candice. Là pour lui. Seulement lui. Dans cet univers, qui ne serait qu’à eux. Elle semblait si désemparée. Étendue sur le lit. Enchaînée au matelas. Petite poupée de verre. Fragile. Fébrile. Si belle…

Le râle prend fin. Douloureux. Seulement, tu n’éprouves rien. Même les émotions ne sont plus. Ses doigts s’immiscent dans ta chevelure. Caresse suave. « J’aime tellement faire l’amour avec toi… » Son haleine s’accroche à tes sinus. T’arrache un rictus amer. « Tu… tu aimes… faire l’amour à un cadavre. » Ton rire lézarde les murs. Mais le sommeil l’emporte avec lui…

« Pourquoi… pourquoi tu fais ça ? » Il la contemplait. Le regard étincelant. Fou et amoureux. Parce que l’un… n’allait pas sans l’autre ?... « Parce que je t’aime. »

« Il faut manger, Candice… » Il détache tes poignets fragilisés. Persuadé de ton incapacité. Mais là est l’erreur. N’est-ce pas ? Puisque tu te redresses avec fracas. Pauvre innocent. Surpris. Interdit. Il n’a pas le temps d’anticipé. Ni de comprendre. Lorsque ta mâchoire se referme avec rage autour de sa gorge. Il n’y a que l’instinct. Celui de conservation. De survie… C’est la pensée primitive. Animale. Son hurlement s’étouffe rapidement. Le sang emplit ta bouche. C’est une vague d’hémoglobine. Tandis que tu arraches la chaire. Basculant la tête en arrière. C’est une hémorragie. Celle de ta fureur. De ton… inhumanité ?... Silencieusement, tu l’observes étreindre son cou. Se débattre autour de sa carotide. Mais en vain. La fin… est proche ?... La tienne, approche…

« Votre fille a connu un choc trop important. Elle est restée enfermée cinq mois dans le sous-sol de cette usine désaffectée, à subir des sévices sexuels. Son esprit n’a pas supporté. Il lui a créé une seconde personnalité qui prend le dessus, lorsqu'elle se sent dépassée. Elle est atteinte d’une schizophrénie aiguë qui la rend dangereuse... »